Selon Bob Cox, les géants d’Internet devraient payer leur juste part

Le présent texte est un article d’opinion écrit par Bob Cox, le président de Médias d’Info Canada. Il a été publié hier, le 28 avril, par le Winnipeg Free Press. Si vous souhaitez faire paraître cet article dans votre publication, nous vous invitons à le faire. Veuillez simplement nous en informer par courriel à : info@mediasdinfo.ca

Les journaux n’ont jamais été aussi aimés — mais n’ont jamais été aussi négligés.

La soif de se renseigner sur la manière dont la pandémie de COVID-19 bouleverse le monde a fait doubler, voire tripler, l’auditoire des médias d’information dans les deux derniers mois. Les lecteurs se sont massivement tournés vers des sources d’information fiables pour connaître l’impact de ce virus mortel sur leurs collectivités.

L’explosion de la demande pour un produit est censée faire grimper les revenus, pourtant, l’existence même de nombreux médias d’information est aujourd’hui menacée par une baisse des revenus qui a entraîné des licenciements, des réductions de salaire et des fermetures.

Dans le secteur de l’information, comme dans de nombreux autres domaines, la crise liée à la COVID-19 a mis en évidence et amplifié un problème qui ne cesse de s’aggraver : les éditeurs ne sont pas payés pour les contenus qui sont largement utilisés dans le monde numérique.

Les grandes plateformes de recherche et de socialisation vendent des milliards de dollars de publicité, mais ne la partagent pas avec les éditeurs de nouvelles qui génèrent un contenu qui attire beaucoup de lecteurs sur ces plateformes. C’est un peu comme si une chaîne de télévision diffusait un concert de Céline Dion, mais sans payer pour ses chansons.

Il faudra que des mesures soient prises par le gouvernement fédéral pour s’attaquer à ce problème. L’expérience de la COVID-19 montre pourquoi il faut agir maintenant.

D’autres gouvernements l’ont fait. L’Australie a annoncé qu’elle allait obliger Google et Facebook à payer pour les contenus d’actualité en partageant les recettes publicitaires avec les éditeurs. Le gouvernement australien a accéléré ses plans dans ce sens en raison de l’effondrement des revenus des médias d’information liés à la COVID-19.

Google et Facebook disposent de certains programmes de soutien au journalisme, mais ils ont toujours refusé de négocier toute forme de compensation exhaustive pour le contenu des éditeurs de nouvelles qui apparaît sur leurs plateformes.

Les quotidiens canadiens ont vaillamment continué à produire des nouvelles au cours de la dernière décennie tout en voyant leurs revenus baisser de 50 %, pour atteindre 1,6 milliard de dollars en 2018. Ce contenu est souvent à l’origine des clics qui génèrent les recettes publicitaires sur Internet, qui ont plus que quadruplé au cours de la décennie, pour atteindre 7,7 milliards de dollars. Facebook et Google ont pris le dessus en vendant des publicités sur leurs plateformes, et représentent les trois quarts du marché publicitaire en ligne au Canada.

Les journaux ont développé d’importantes entreprises numériques, en vendant de la publicité et des abonnements, mais les revenus sont généralement loin de soutenir les robustes salles de rédaction qui étaient traditionnellement financées par la publicité imprimée.

Dans cet environnement, quelque chose devait finir par céder, et la COVID-19 a fait éclater le tout au grand jour. Pour employer des mots liés à la COVID-19, ce cas est passé d’un test positif à un cas nécessitant l’attention de l’unité de soins intensifs.

Le gouvernement fédéral a pris des mesures extraordinaires à court terme pour soutenir les travailleurs et les entreprises, y compris l’industrie de l’information. Toutefois, une solution plus durable est nécessaire pour garantir que le journalisme indépendant et factuel soit vivant et en santé partout au Canada dans les années à venir.

Le gouvernement fédéral pourrait imposer un système de redevances dans lequel les géants d’Internet auraient à négocier les paiements avec une coalition d’éditeurs.

Ce type de système existe depuis longtemps dans l’industrie de la musique. C’est pourquoi les chaînes de télévision ne peuvent pas voler les concerts de Céline Dion et les stations de radio doivent payer pour diffuser des chansons.

Les organisations qui représentent les musiciens, les auteurs-compositeurs et les éditeurs perçoivent des redevances en leur nom chaque fois que leur travail est utilisé à des fins commerciales, que ce soit par des stations de radio, des bars, des restaurants et même des centres sportifs. Ces groupes ont leurs propres problèmes avec Internet et affirment que les plateformes numériques tirent une valeur énorme de leur travail sans verser de compensation adéquate.

Cependant, le système de base génère des centaines de millions de dollars pour les créateurs et les interprètes de musique. La SOCAN, qui représente les créateurs et les éditeurs, a déclaré des redevances de 375 millions de dollars pour 2018. Ce montant permettrait de payer les salaires dans toutes les salles de rédaction de tous les quotidiens du Canada. Et cela représente cinq pour cent de la publicité diffusée sur Internet partout au pays.

Google et Facebook soutiennent un peu le journalisme, mais ce soutien est limité. Tous deux ont annoncé le financement d’une aide d’urgence liée à la COVID-19. Le financement d’urgence de Facebook a payé un maximum de 5 000 dollars américains par publication.

En 2018, Google a annoncé son initiative Google News, un plan d’investissement de 300 millions de dollars sur trois ans pour lutter contre la désinformation et soutenir le journalisme. L’American News Media Alliance estime que la même année, Google a réalisé un chiffre d’affaires de 4,7 milliards de dollars aux États-Unis grâce à la recherche d’information et à Google News.

Le projet de journalisme mis en place par Facebook fournit une aide pour la formation dans les salles de rédaction et un programme d’accélération pour aider les éditeurs numériques à développer leurs activités. Mais il n’y a pas de financement direct des salles de rédaction. C’est un peu comme payer des leçons de guitare à des musiciens, sans les payer pour qu’ils se produisent sur scène.

(Question de transparence, notons que le Winnipeg Free Press a reçu des fonds de Facebook dans le cadre de son programme d’accélération et de son plan d’aide d’urgence lié à la COVID-19).

Dans le cadre de la crise de la COVID-19, les éditeurs de nouvelles de tout le pays ont prouvé une fois de plus l’importance de leur travail visant à informer les Canadiens. Il est temps que le gouvernement fédéral pousse Facebook et Google à apporter un réel soutien à nos salles de rédaction afin qu’elles puissent continuer à remplir cette tâche vitale.