Cet automne, les petits et grands éditeurs de nouvelles locales du Canada se sont unis pour exhorter le gouvernement fédéral – et les députés de tous les partis – à se joindre aux démocraties du monde entier pour lutter contre les attaques incessantes de Google et de Facebook contre les nouvelles locales.
Les deux géants du web se servent de leur position de monopole pour priver les journaux locaux des revenus – principalement issus de la publicité – qui permettent de financer le vrai journalisme. Dans un rapport qui porte bien son nom, Niveler les règles du jeu en matière de numérique, nous avons défini les actions globales nécessaires pour desserrer cette mainmise déloyale dans notre marché.
Depuis la publication de ce rapport, Google et Facebook, qui sont déjà dans l’eau chaude en raison de leurs problèmes de diffusion de la désinformation, ont répliqué en produisant eux-mêmes des messages de désinformation sur mesure.
Ce mois-ci, dans le cadre de sa campagne de lobbying mondiale très coûteuse visant à lutter contre toute restriction de leur richesse et de leur pouvoir, Google a écrit à tous les députés à Ottawa.
Nous ne nous attarderons pas sur les fausses déclarations les plus flagrantes contenues dans la lettre. Par exemple, nous n’avons jamais accusé Google de « voler » du contenu, comme ils le prétendent. Ils affirment également que « pas tous les éditeurs sont d’accord avec Médias d’info Canada » ; dans les faits, nous représentons les éditeurs des publications quotidiennes, régionales, communautaires et ethnoculturelles qui représentent plus de 90 % du lectorat des médias d’information au Canada.
Nous nous concentrerons plutôt sur les propos de fond qu’avance Google. Ceux-ci sont aussi importants pour ce qu’ils omettent, que pour ce qu’ils affirment.
Google affirme ne pas avoir provoqué « le bouleversement du modèle économique des journaux », ce qui implique que ceux que Google qualifie avec dédain de « médias traditionnels » n’ont pas suivi l’évolution de la technologie. En fait, les éditeurs de journaux canadiens, petits et grands, se sont adaptés au monde numérique dès la montée d’Internet dans les années 1990.
Par exemple, La Presse a transformé son secteur de l’information en élaborant des produits numériques pour appareils mobiles et pour ordinateurs ainsi qu’une édition gratuite pour tablette (LaPresse+) qui a remplacé à terme tous les produits imprimés. Sur les petits marchés non urbains, des éditeurs indépendants comme Neepawa Banner & Press (Manitoba) et Island Press Inc. (Île-du-Prince-Édouard), ont produit des baladodiffusions et des séries de vidéos numériques pour compléter leurs éditions imprimées, en plus des versions en pdf, des éditions électroniques sur leurs sites web et des applications mobiles.
Google affirme également ne pas « tirer de revenus significatifs des actualités ». Nous vous laissons le soin de décider du montant des « revenus significatifs » pour une société qui a engrangé plus de 200 milliards de dollars canadiens de revenus l’année dernière et qui bat encore des records cette année avec près de 60 milliards de dollars canadiens de revenus pour le troisième trimestre de cette année.
Google ne reconnaît pas non plus dans sa lettre qu’elle et son homologue du monopole Internet, Facebook, collectent à elles seules 80 % de tous les revenus publicitaires en ligne au Canada.
Les omissions de faits et de contexte de Google sont délibérées – et délibérément trompeuses. Il en va de même pour des affirmations telles que « Google ne fixe pas les prix des annonces… (ils) sont déterminés par des enchères en temps réel ». Google utilise sa taille et sa richesse immenses ainsi que sa domination incontestée du marché pour accaparer la part du lion de toute publicité. Quelle que soit la méthode de calcul, cela constitue un abus de pouvoir.
Google possède un monopole sur chaque étape de l’achat et de la vente de publicité numérique. Depuis 2001, Google a acquis de manière agressive des entreprises de technologie de publicité numérique qui représentaient une menace quelconque. Leurs anciens concurrents ont été intégrés dans leur écosystème mondial. Google contrôle désormais tous les aspects de la chaîne d’approvisionnement de la publicité numérique pour les éditeurs et les annonceurs et en tire des revenus.
La technologie de Google propulse les systèmes d’annonces utilisés pour afficher des annonces sur les sites Web des éditeurs ; elle est utilisée pour proposer ces placements au marché pour achat (enchères) ; elle est à la base des systèmes utilisés pour faire des offres sur le placement de ces annonces ; elle est utilisée pour cibler les consommateurs et suivre les performances de ces annonces ; et elle est utilisée pour vérifier la diffusion de ces annonces.
Google touche à tous les aspects de la publicité numérique. Ceci, conjugué à sa domination en tant que moteur de recherche, où les gens vont régulièrement pour trouver des nouvelles, en fait manifestement un monopole. Google est l’enchère, le commissaire-priseur, le produit, l’acheteur et le vendeur.
La lettre que les députés ont reçue de Google fait partie d’un effort concerté de la part de Google pour lutter contre le rejet croissant de ses abus de pouvoir dans les démocraties du monde entier. L’alarme que nous avons sonnée dans notre rapport, Niveler les règles du jeu en matière de numérique, a ensuite été réitérée dans des rapports encore plus récents du Sénat américain (Local Journalism: America’s Most Trusted News Sources Threatened) et de la Chambre des Lords britannique (Breaking News? The Future of UK Journalism).
Google voudrait vous faire croire que non seulement Médias d’info Canada a tort, mais que les plus proches alliés de notre pays – les États-Unis et le Royaume-Uni – ont également tort.
L’Australie, autre allié proche, prend des mesures décisives pour garantir un marché en ligne équitable pour les médias dans leur pays. Compte tenu de la similitude de nos systèmes juridiques et politiques fédéraux, ainsi que de nos cultures et économies, nous pensons que la même approche pourrait fonctionner ici au Canada. Il s’agit là de la principale recommandation dans notre rapport. Nous pensons également que cette solution fonctionnerait bien au Canada, car elle ne nécessite ni financement public ni nouvelle ou augmentation de taxe ou de frais d’utilisation.
Il suffit que nos députés assument leur responsabilité de protéger les Canadiens et les entreprises canadiennes de toutes tailles contre les pratiques prédatrices et destructrices d’un puissant monopole, et de garantir une concurrence loyale.
Nous ne pouvons pas espérer que des intérêts aussi puissants que Google et Facebook permettent cela sans se battre. Compte tenu de leur comportement dans d’autres juridictions, on peut s’attendre à ce que du lobbying sauvage et des menaces pures et simples suivent. Cela a certainement été le cas en Australie et en Europe.
Nous continuerons à défendre les intérêts des organisations de nouvelles locales et des communautés que nous desservons partout au Canada. Nous sommes d’accord avec une phrase figurant dans la lettre de Google : « Non, le secteur de l’information n’est plus le même qu’il y a deux décennies. Les Canadiens innovants l’améliorent ». Ce sont les femmes et les hommes qui travaillent dans les salles de rédaction à travers le Canada. De vrais journalistes, qui rapportent de vraies nouvelles et utilisent des moyens nouveaux et innovants pour communiquer avec les Canadiens. Nous continuerons à nous battre pour eux et pour leurs communautés, même face aux puissantes multinationales qui ne produisent pas de journalisme et cherchent à soutirer des profits du travail des autres.
Nous espérons qu’en prenant les mesures législatives que nous exposons dans notre rapport, les députés de tous les partis nous épauleront.
John Hinds
Président et directeur général
Médias d’info Canada
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