Rédigé par Bob Cox, président du conseil de Médias d’Info Canada
Sauvons le journalisme.
Vous vous demanderez probablement de quoi je parle. Ne sommes-nous pas ensevelis chaque jour sous des montagnes d’information chaque fois que nous prenons notre téléphone, ouvrons notre ordinateur, nous perdons dans les centaines de chaînes de télévision qui nous sont offertes ou, comme beaucoup le font encore, ouvrons les pages de notre journal ?
Vous avez bien raison, mais nous avons de plus en plus l’impression d’être le canot de sauvetage qui dérive sur l’océan : tellement d’eau nous entoure, mais il n’y a rien à boire.
Vous pouvez lire le dernier message de Donald Trump sur Twitter, ou voir ce que votre ami a fait aujourd’hui au gym sur Facebook, mais il y a de moins en moins d’information sur ce qui nous importe vraiment et qui a une incidence sur la vie des gens d’ici : ce que font nos gouvernements locaux, les crimes qui sont perpétrés dans nos quartiers, ou ce que l’on enseigne dans nos écoles.
C’est le genre de couverture que nos journaux ont offert tout au long des 150 ans de l’histoire du Canada, en alimentant notre grande et stable démocratie de faits réels, recueillis avec soin et présentés de façon responsable.
Nous avons rapporté l’histoire de notre pays fidèlement, et nous souhaitons continuer dans cette même voie, mais ce n’est pas facile.
Les Canadiennes et les Canadiens se fient encore aux journaux sur les nombreuses plateformes où ils sont publiés. Selon le plus récent sondage de Vividata, la société qui fait la collecte d’information sur l’usage des médias par les Canadiens, neuf adultes sur dix lisent notre contenu chaque semaine.
Cependant, le numérique a décimé les modèles d’affaires sur lesquels s’appuyaient les journaux et le journalisme tels que nous les connaissons. Nous nous adaptons. Nous élaborons de nouvelles façons de livrer l’information et utilisons pour ce faire de nombreux canaux numériques, mais cela ne réussit pas à payer les factures pour soutenir nos salles de presse. La majeure partie des milliards de dollars versés en publicité numérique se retrouve chez les Google et Facebook de ce monde, qui ne créent aucun contenu local.
Nous avons coupé dans nos dépenses. Nous avons dû procéder à des mises à pied et fermer des journaux. Nos salles de presse ont rétréci, ont été combinées et, dans certains cas, ont même disparu.
Cette situation a été mise en lumière cette semaine par le Comité permanent du patrimoine canadien qui recommande que le gouvernement fédéral mette en place des mesures pour soutenir la liberté et l’indépendance des médias et du reportage des nouvelles locales.
La proposition des exploitants de journaux abonde dans le même sens. Ces entités farouchement traditionnellement indépendantes, qui parviennent rarement à s’entendre sur quoi que ce soit, se sont associées pour demander au gouvernement fédéral de créer un programme qui appuiera les médias d’information. Nous représentons pratiquement tous les journaux d’intérêt général et de diffusion de masse au Canada, petits ou grands, francophones et anglophones, quotidiens et journaux régionaux, d’un océan à l’autre.
Le comité du patrimoine recommande qu’un fonds existant, qui aide principalement les magazines et certains journaux régionaux à diffusion payée, soit élargi pour soutenir tous les journaux d’intérêt général, quotidiens et journaux gratuits, sous forme imprimée et numérique.
Les exploitants de journaux proposent que ce fonds rembourse certaines dépenses éditoriales pour les organes de presse non réglementés, imprimés et numériques, qui présentent de façon régulière et importante, des reportages canadiens originaux sur une série de sujets. Le reportage de nature civique est défini comme le reportage sur les élus et les institutions publiques, les tribunaux, les hôtels de ville, les commissions scolaires et les actualités qui aident les collectivités à se mieux connaître.
Ce n’est pas le sauvetage de grands médias mal gérés, et l’argent ne servira pas à verser des primes ou des dividendes aux propriétaires et aux actionnaires.
Cette aide serait liée au nombre de journalistes embauchés ─ en fait, au personnel sur le terrain chargé de raconter les Canadiens à eux-mêmes. Nous avons recommandé un financement de 35 % du total des salaires de tous les journalistes, avec un plafond maximal d’environ 30 000 $ par journaliste. L’argent servirait aussi à appuyer le reportage sur les plateformes numériques et c’est pourquoi une vaste gamme d’organes de presse pourraient s’y qualifier.
Le fonds augmenterait aussi la somme que le gouvernement fédéral met de côté pour l’innovation dans le paysage médiatique actuel où tout change si rapidement.
Bref, ce serait un programme coûteux, puisque ses coûts passeraient des 75 millions de dollars qu’il représente aujourd’hui, à environ 350 millions de dollars par an.
Il faut toutefois mettre cette somme en perspective. Les journaux ne sont pas les premiers médias d’information à aller chercher de l’aide. En fait, nous sommes peut-être les derniers.
La plupart des médias d’information canadiens autres que les journaux sont appuyés par du financement et par l’ajout de taxes directes et indirectes à la consommation.
Beaucoup ne le savent peut-être pas, mais il n’y aurait pratiquement aucun magazine canadien si ce financement fédéral n’existait pas. Les chaînes de télévision perdent de l’argent sur les nouvelles locales chaque année, au point où le CRTC mettra en place un fonds de 90 millions de dollars pour soutenir la programmation de nouvelles locales à compter du 1er septembre. L’argent viendra des abonnés du câble.
Le gouvernement verse 1,2 milliard de dollars pour soutenir Radio-Canada chaque année, et le diffuseur public reçoit aussi un autre 135 millions de dollars en droits d’abonnés à la câblodiffusion. Le Fonds des médias canadiens, subventionné en partie par une somme de 134 millions de dollars versée par Ottawa, remet 317 millions de dollars à des projets canadiens de l’industrie de la télévision et du numérique. La majeure partie de l’industrie canadienne du film et de la vidéo est appuyée par des crédits de taxes et d’autres exemptions qui représentent des centaines de millions de dollars chaque année.
Tous reconnaissent depuis longtemps que les médias d’information canadiens ont besoin d’aide pour demeurer, comme le dit le Comité du patrimoine, un « pilier de notre démocratie ».
Nous avons fait nos preuves. Nous avons la capacité de renseigner les Canadiennes et les Canadiens sur ce qui se passe ici et sur qui ils sont. Nous aidons aussi à les garder branchés et engagés. Et cela vaut la peine d’être sauvé.
Bob Cox est président du conseil d’administration de Médias d’Info Canada et éditeur du Winnipeg Free Press.
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