Notre meilleur espoir pour la Journée Mondiale de la Liberté de la Presse

Le bilan de santé 2016 de la liberté de la presse n’est pas vraiment réjouissant.

L’impunité dont jouissent les auteurs de crimes contre les journalistes continue de saper le cadre juridique international qui devrait au contraire rendre justice et assurer la règle de droit.

L’application persistante de lois nationales sur la sécurité qui condamnent les médias ou restreignent la liberté d’expression, les attaques physiques qui se multiplient, et un débat de plus hostile sur le net sont autant de message alarmant pour les salles de rédaction du monde entier. Les protections s’effritent, les lignes rouges sont franchies et les journalistes naviguent à vue dans un enchevêtrement juridique inextricable. Selon le recensement annuel de CPJ (Committee to Protect Journalists), quelque 259 journalistes seraient en maintenus détention en 2016, un record.

Au-delà des statistiques officielles, combien de cas restent inconnus du public ? Tout laisse à croire que l’auto censure se généralise, l’impératif de réfléchir à deux fois avant de publier devient la norme. Avec l’entrelacement complexe des intérêts commerciaux et la situation financière précaire des entreprises de presse, ces lignes rouges se transforment en zone de confinement dans lesquelles la liberté d’expression est réduite au silence, étiquetée «zone dangereuse» pour le journalisme.

L’année 2016 suit le déclin observé ces dernières années et une érosion des libertés fondamentales observée année après année dans les bilans toujours plus pessimiste publiés chaque année le 3 mai. Alors que nous célébrons une nouvelle Journée Mondiale de la Liberté de la Presse et distillons nos condamnations habituelles, et face tout ce qui précède, nous devons pourtant bien reconnaître les efforts méritoires déployés pour enrayer une mécanique infernale. C’est sans doute le bilan positif à tirer d’un constat 2016 pourtant si sombre pour la liberté de l’information.

Les pressions exercées sur les journalistes et les entreprises média réduisent la transparence du débat public et protègent de puissants intérêts qui se dérobent à la vue du public sans rendre de comptes à la société. Ironiquement, cela contraint les médias à redoubler d’efforts pour convaincre le public que les attaques ciblées dont ils font l’objet sont des atteintes à des valeurs communes qui devraient pourtant le protéger contre les abus de toutes formes.

En attendant, la presse doit se protéger avec ses propres moyens et plaider en son propre nom. Les organisations, les institutions, les ONG sont essentielles, mais ne suffisent pas éradiquer le fléau. Ces organisations ne sont efficaces qu’à condition que les médias eux-mêmes participent activement à la mobilisation.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, on ne devrait pouvoir s’en vouloir qu’à nous-mêmes. Car une des réponses face à ces pressions grandissantes consiste avant tout de travailler sur des normes éditoriales plus rigoureuses et développer des offres commerciales dignes de la confiance du public. Les exemples vertueux ne manquent pas de par le monde; et il est assez légitime d’imaginer que la profession aura d’autant plus de chances de résister à condition de balayer devant sa propre porte.

Le temps presse. Développer des offres de formation adaptées aux nouveaux usages du public, en phase avec les normes professionnelles les plus exigeantes est un préalable indispensable. En tant que profession, nous devons pouvoir affirmer avoir fait tout ce qui est en notre pouvoir, être irréprochables à tous égards. En commençant par une exigence de transparence sur nos pratiques et nos valeurs. Mais plus que tout, il s’agit d’être conscient du pouvoir de l’action collective, de se mobiliser en tant que professionnels, pour les professionnels. WAN-IFRA travaille directement avec des éditeurs de presse dans plus de 20 pays pour soutenir cette double mission : sensibiliser et former. Grâce à ce travail de terrain, les médias en Afrique, en Asie, en Amérique latine et au Moyen-Orient prennent des mesures concrètes qui leur permettent de défendre leur droit d’informer et le droit du public d’être informé.

En Ouganda, nous animons un réseau de plus de 250 professionnels pour améliorer la sécurité des journalistes, partager des bonnes pratiques, et renforcer la confiance du public pour une presse indépendante. En Égypte, nous conduisons une étude publique pour sur ces questions pour proposer des réponses concrètes au phénomène de la défiance. En Équateur, les médias lancent des appels auprès du nouveau gouvernement pour réformer une loi sur la presse asservissante. En Afrique du Sud, les équipes rédactionnelles avec lesquelles nous travaillons ont conçu et mettent en œuvre leur propre programme de formation pour améliorer la sécurité numérique des rédactions.

En Palestine, au Botswana, en Malaisie, en Colombie, en Zambie, au Cambodge, au Kenya et dans une douzaine d’autres pays, l’expérience se répète. WAN-IFRA veille à ce que dans ces pays les médias prennent eux-mêmes en main les initiatives de sensibilisation et de formation similaires. De sorte que l’année prochaine, ou dans cinq ans, ou au-delà, les bilans de santé publiés chaque année le 3 mai ne nous présentent pas un diagnostic si sombre.

Les journalistes que nous formons sont d’autant mieux armés qu’ils prennent conscience que leurs efforts sont soutenus par leurs confrères, au-delà des frontières et des cultures qui les séparent. Cette solidarité est la force de notre profession. C’est l’approche que WAN-IFRA préconise de suivre lors de cette Journée Mondiale de la Liberté de la Presse.

 

Contact:

Andrew Heslop

Directeur, Media Freedom

WAN-IFRA

andrew.heslop@wan-ifra.org / @HeslopAndy

www.wan-ifra.org/pressfreedom